Initiation aux courants du golfe

Initiation aux courants du golfe avec CK mer.

Avertissement : Ce récit relate ma vision des choses au moment où je les ai vécues.

C’est bientôt l'été et il me tarde de pouvoir retourner en mer après le stage chez Vincent de CAMINO Kayak. J’ai déjà bien perçu la nécessité de connaître les difficultés que l’on peut rencontrer et si possible de s’y confronter, volontairement, pour les vaincre sereinement. Les longues soirées hivernales ont été utilisées dans ce sens. Lire un maximum de choses sur le sujet du kayak de mer pour préparer un printemps actif et empli de découvertes afin de me construire un début de connaissances pratiques.

C’est ainsi que je suis tombé sur le site de CKmer (Connaissance du Kayak de mer). Cette association organise des sorties à thèmes avec notamment de l’apprentissage technique. Le planning 2018 est paru en fin d’année et plusieurs sorties me conviennent dont un WE d’initiation aux courants du golf. C’est décidé, je m’inscris derechef à l’association et à la sortie. Tout semble parfait mais je me rendrais compte dès le début de l’initiation que j’avais lu un peu rapidement l’intitulé. Certes il était question d’initiation aux courants comme je l’avais compris, mais aux courants du golf et non pas dans le golf comme je l’avais traduit. Nous allons voir que cette petite différence aura créé une ambiance particulière pour cette sortie qui deviendra mémorable, pour moi et peut-être un peu pour Jérôme, notre accompagnateur bénévole.

Nous voilà donc vendredi premier juin 2018 fin de journée. Je viens de déposer ma petite caravane au camping du Hallatte, lieu de bivouac prévu par l’association, après 3 heures de route assez agréables. C’est un camping très nature, décoré avec goût avec une mise en avant du respect de la planète, dans l’air du temps quoi, tout enjolivé des premières fleurs de la saison. J’arrive la veille du WE afin de ne pas avoir à me lever trop tôt demain matin. Il ne me faudra pas attendre longtemps pour voir arriver une camionnette aménagée en camping-car sommaire. Un homme ni très jeune ni très vieux en sort et me lance « Salut, moi c’est Jean-Pierre ». Nous nous connaissons déjà un peu via le forum « kayakiste de mer », mais c'est la première rencontre physique, Après quelques bavardages, nous aménageons nos équipements pour la soirée puis nous décidons de nous rendre à BERDER, le lieu de rendez-vous pour le lendemain matin.

Le golf est majestueux et semble calme. Il faut un regard de marin pour deviner le mouvement rapide du flot et en percevoir la force. Nous sommes sur le port de LARMOR BADEN et, à gauche, nous avons la brèche de BERDER. J’en ai entendu parler au mois de mars lors de l’assemblée générale de « kayakiste de mer » une autre association à laquelle j’adhère. C’est un spot de kayak, technique, engendré par une rupture en 2015 de la digue qui reliait la ville à l’île de BERDER. Lors de ce WE nous avions deux sorties de programmées, une avec l'ensemble du groupe le samedi autour de l’île aux MOINES et le dimanche le choix entre deux directions, l’île d’ARS ou la brèche de BERDER. Seuls les kayakistes confirmés s’engageaient pour cette dernière. Autant vous dire que je regarde cette gueule béante qui déverse un flot massif en me disant : « C’est là que je ne dois pas mettre ma pagaie ».

 

Hej dihej berder 5

 

Nous avons le plaisir de rencontrer, Jérôme, l’organisateur de la sortie, sur le port. Jean-Pierre le connaît car ils ont déjà effectué des stages ensemble. La rencontre est rapide car Jérôme est déjà en conversation et nous nous quittons sur un « A demain ! ». Jérôme nous précise alors d’être à l’heure demain car nous serons très juste par rapport à la marée.

La soirée du vendredi, à la lueur des frontales, a été fort agréable. Jean-Pierre est un très bon bricoleur plein d’ingéniosité et l’échange de nos expériences sur le sujet a pris une grande partie de la soirée. C’est raisonnablement que nous nous sommes couchés vers les 22 h30. Nous aurons encore demain pour nous découvrir d’autres points communs.

Quand j'émerge de cette douce nuit, Jean Pierre est déjà debout et vaque tranquillement à ses occupations. Après une douche qui n'a pas eu le temps de chauffer, j'engloutis un petit déjeuner rapide et je prépare le matos pour la journée. Comme nous l'avions prévu sur le forum, Jean-Pierre me prête un casque emprunté à son club, un vieux casque jaune mais qui fera très bien l'affaire. Tout cela terminé, je regarde Jean Pierre qui commence seulement à préparer sa collation matinale. Chaque geste semble posé comme pour optimiser l'énergie dépensée. Puis il s'assoit pour manger tout en parcourant un livre.

Nous sommes, lui et moi, aux opposés sur la manière d'aborder la journée. Cela me stresse un peu car je vois l'heure du rendez-vous avancer rapidement sans que jean Pierre ne semble pas s'inquiéter, Nous partons 5 mn avant l'heure prévue du RDV alors que nous avons un quart d'heure de route, Nous serons en retard et je déteste cela. Mais je n'en veux pas à JP. J'aimerai bien avoir son calme et sa tranquillité mais je suis plutôt du genre « Speedy Gonzalès ».

Nous arrivons enfin sur le port de BERDER où, bien sûr, il n'est pas simple de se garer. Il y a déjà un bonne vingtaine de kayak alignés sur la petite plage et le même nombre de personnes à s'affairer autours, Je ne connais personne et je fais donc le tour pour une présentation rapide. « Bonjour moi c'est Thierry » Bonjour moi c'est Marcel ». Il y a tellement de monde que je n'ai pu retenir aucun de ces prénoms. Je vois Jérôme qui arrive et le bonjour à peine prononcé, il exhorte les personnes présentes à se dépêcher car nous sommes en retard avec la marée. Il nous montre une plage sur l'île de BERDER où nous devons nous rejoindre car, me dit-il,il y a trop de monde ici. Jean Pierre est à sa camionnette et je file lui donner l'info. Je redescends à la plage et prépare mon bateau tout en échangeant avec ma voisine. J’entends une voix m'interpeler autoritairement : «  EH ! Casque jaune ! Dépêche-toi ! tout le monde t'attend à la plage ! » Je réalise à ce moment-là que les personnes qui sont encore autour de moi ne font pas partie du groupe. « Et Jean-Pierre aussi ? » lançais-je. « Oui il est rendu ! » Je me demande par quel miracle il a pu passer à côté de moi sans que le vois et naviguer si rapidement. Je me lance à la mer et pagaie ardemment, Je finis par rejoindre le groupe qui finalement n'était pas encore arrivé et nous débarquons ensemble, j'entends alors Jérôme poser la question : « Et Jean Pierre, il est où ? » Tout le monde se regarde, pas de jean Pierre, Nous scrutons la mer et notre regard arrive à notre point de départ où nous apercevons Jean Pierre en train d'embarquer. Tranquillement, il nous rejoindra au bout d'un petit moment.

Jérôme nous rassemble alors en cercle pour effectuer les présentations. Chacun donne son prénom et son lieu d'habitation. Arrivé à moi je lance un fier « Thierry de Quelaines Saint Gault » non sans prendre un supposé accent du MAINE en engloutissant au passage le e de Quelaines ce qui donne « claine » . Bien sûr tout le monde pousse alors de grands yeux en me demandant où cela se situe sur la planète. C'est ma manière à moi de déstresser, je tente le trait d'humour comme trait d'union. Avec le temps, je devrais avoir compris que mon humour est inefficace. Jérôme nous présente Sandie comme étant la personne qui le seconde lors de cette initiation, Il ne sera pas avec nous demain et ce sera elle qui nous accompagnera, seule. Ce sera d'ailleurs, il me semble, son premier encadrement en autonome suite à l'obtention récente de son diplôme.

Jérôme reprend la main et nous indique du doigt la brèche de BERDER : «  On embarque et on se retrouve là-bas ». Je me dis que nous allons approcher du courant d'eau pour l'apprécier, le juger et sans doute avoir droit à des explications techniques. Arrivés aux abords du flot, Jérôme nous sort : « Vous vous engagez dans la brèche, vous faites un bac et un stop de l'autre côté et on s'attend la bas ! ».

Je crois qu'à ce moment-là, j'ai pris la couleur de mon kayak : violet. Je ne comprends ni les termes employés ni les raisons qui le poussent à nous envoyer en enfer directement. Mais bizarrement, je semble être le seul à qui cela pose problème. Je ne cherche donc pas à comprendre et décide de suivre le mouvement. Je comprendrai ensuite que le bac est la technique qui permet traverser un courant en conservant l'avant du bateau face au courant afin d’arriver à un endroit désiré sans être emporté par celui-ci. Le stop est le fait d’amener son kayak dans le contre courant qui borde le courant derrière un obstacle pour s’y arrêter. La marée est descendante et nous affronterons le courant à contre sens.

Je regarde la technique de mes compagnons et je me lance à mon tour. C'est passé, pas de manière glorieuse mais c'est passé. Jérôme reprend la parole : « Nous allons faire un bac dans le courant sur la vague, chacun se suit mais en laissant une distance de sécurité » puis il s’engage et nous fait une démonstration de la technique à adopter.

Je vois mes camarades s'élancer à tour de rôle et tranquillement traverser la brèche aidés de quelques appuis. Je n'ai jamais pratiqué d'eau vive et ma seule connaissance des appuis est celle tentée dans les vagues lors de mon stage chez Vincent, autant dire aucune expérience. Mes prédécesseurs enchaînent les uns à la suite des autres et les premiers reviennent déjà derrière moi. J'attends sagement mon tour, Je respecte la distance car je suis sûr, au vu de mes compétences, que cela ne sera pas si simple pour moi. Je vois alors un collègue passer à ma gauche et s'engager dans le courant. Je relativise la chose : «  Ce n'est pas important, il y a toujours quelqu'un qui ne respecte pas les ordres, ce n'est pas grave, j'irai après ». Un deuxième me double alors, je relativise encore : «  Il y a toujours un mouton à suivre et à ne pas faire attention aux autres ». Puis le hurlement revient : « Tu attends quoi Thierry ? Vas-y engages toi, ». Mais il croit quoi ? Non je n'ai pas peur de m'engager, je suis stressé certes mais je n'ai pas peur de cela. Mon inquiétude est de faire tomber un autre kayakiste. Je respecte ses consignes et je me fais reprendre. Je n'ai aucune envie d'être le boulet du jour, je crois pourtant que c'est bien parti.

 

Hej dihej berder 2

 

Je finis par me lancer et bien sûr, à peine engagé, l'avant du kayak est pris par le courant et il fait demi-tour pratiquement sur place pour filer ensuite emmené par le courant. Je retente l'aventure non sans avoir laissé passer quelques kayaks pressés d'en découdre. Et toujours le même résultat, demi-tours et il file à l'eau, tiens FILALO, comme son nom. Je me rends enfin compte que, ne sachant pas encore bien diriger mon bateau, dès que je le sens dévier de la route demandée, je plante la pagaie pale face au courant pour arrêter la déviance ce qui agit comme un pivot sur lequel vient tourner le kayak et c'est pour cela que je pars en cacahuète à chaque fois. Il me faut diriger le bateau avec la pale orientée tranchant vers le courant, Facile à comprendre mais dur à mettre en œuvre. En effet, cela fait quelques mois quand même que je navigue et ce geste est maintenant devenu instinctif. J'améliorerai un peu ma technique mais sans réussir le bac.

Tant pis, Jérôme enchaîne sur la remontée du courant pour franchir la passe. Il nous faut engager le nez du kayak face au courant au plus près des roches et lancer les chevaux pour passer l'obstacle, mais avant il y a une marche en béton sur laquelle passe une dizaine de centimètres d'eau et que nous devons franchir en poussant dur sur les pagaies pour donner un élan suffisant pour monter la marche. Arriver là nous n'avons plus qu'à tirer un bon coup sur la pagaie et cela doit passer. Cela passe effectivement pour mes camarades. Je ne vous explique pas ce qui se passe dans ma tête lorsque mon kayak se retrouve à chaque essai planté sur la marche. Je crois bien qu'ils ont maintenant le boulet du jour. Jérôme n'est pas avare de conseil mais je le sens un tantinet énervé, sans doute que je retarde le groupe.

Je finis toutefois par arriver à la franchir cette satanée marche et il ne m'a fallu que quelques petits essais pour franchir la passe. Il faut bien que je positive un peu.

Nous reprenons alors un peu de navigation et Jérôme nous explique que nous allons faire plusieurs passages de veines de courant comme celui que nous venons de passer puis nous diriger vers la balise des moutons pour travailler dans les courants.

Mes camarades se rapprochent un peu de moi et me rassurent, notamment Sandie. Nous arrivons alors au premier passage. Mes camarades le franchissent les uns derrière les autres. Je les regarde et tente d'analyser leurs gestes. Il n'y a pas grand-chose à part bien se positionner, lancer le kayak et d'un grand coup de pagaie donner l'élan final qui permet de passer.

Quand arrive mon tour, je reproduis mes erreurs précédentes. Le bateau sortant du trajet, je plante la pagaie instinctivement et je pars en demi-tour sur place, Je commence à fatiguer, la tension nerveuse est montée et pas que chez moi. Jérôme me dit de me mettre derrière lui et de faire comme lui. Je me positionne, il prend de la vitesse, je le suis, il monte sur la vague le long de la roche. Celle-ci l'arrête net et c'est le moment où il doit donner un coup de pagaie pour passer. Mais il n'a pas le temps, J'arrive sur lui, comme un boulet que je suis, et ma proue vient heurter violemment son travers, derrière l'hiloire. Le bruit sourd a été presque couvert par le juron de Jérôme. « Tu m'as percé mon kayak ! » . Je suis là, étourdi par ma bêtise. « Boulet d'un jour, boulet toujours » résonne dans ma tête. Mon kayak se met par le travers du courant, je ne réagis plus. Je suis déséquilibré et ma vision change d'un coup : plus de ciel, plus de kayaks, seulement de l'eau, des bulles et le fond rocheux couvert d'algues.

Je me suis retourné, Il me faut sortir du kayak et cela se fait aisément. La fraîcheur de l'eau m'a aidé à retrouver mes esprits. Sandie arrive sur moi. J'ai eu le temps de récupérer mon kayak et ma pagaie, Elle s'approche et saisit mon esquif. « Tu connais les manœuvres de remontée à bord » me demande-t-elle. Je lui confirme les avoir apprises et essayées auparavant, C'est donc sans trop de difficulté qu'elle vide mon kayak et que je me lance dans la remontée, Ma jambe gauche rentre aisément, je hisse le haut de mon corps sur l’arrière de mon kayak et je remonte ma jambe droite à l’intérieur. Je sens une légère résistance, je pousse un peu du pied et j’entends un « crack ». Je me retourne et m'assoie dans le kayak. Je regarde vite fait dans le fond du bateau et je vois mon cale pied gauche qui traîne au sol, J'en informe Sandie et je décide de me rapprocher de la berge qui n'est qu'à quelques mètres afin de regarder cela de près. Le cale-pied n'est pas cassé mais seulement désolidarisé de son guide, Je tente de le remettre en position les jambes dans les algues, le corps bousculé par les vagues. Tout le monde attend, Jérôme arrive et me titille encore, « Que fais-tu ? il faut qu'on avance ! ». Alors que je lui explique la situation,. il me dit de ranger mon cale pied dans un des coffres et de repartir. « Comment fais-je avec un seul cale pied ? » « Tu te débrouilles, il faut avancer », J'obéis à ses demandes et remonte à bord, Je trouve tout de suite la bonne position car j'avais eu, il y a des années, un kayak que j'utilisais en ballade sur la rivière. Il n'avait pas de cale pied et était peu stable. La position accroupie les genoux colés au plafond du kayak était primordiale pour tenir dessus. Je prends donc cette position déjà connue et je repars à l'attaque du courant Je ne me rappelle plus si je l'ai franchi en une seule passe ou en plusieurs mais je l'ai franchi. Avant de continuer, Jérôme regarde les dégâts occasionnés sur son bateau. Le « gel-coat » de surface est parti sur quelques centimètres carrés. La structure ne semble pas touchée. Il pose, dans l’attente d'une réparation, un morceau d’adhésif haute résistance qui fera l’affaire pour la journée.

Nous longeons un peu l’île BERDER puis nous faisons un grand bac vers la JUMENT que nous longerons pour rester à l’abri des courants descendants avant d’effectuer un nouveau bac vers la pointe de PENBERT. La navigation fut parfois tumultueuse car nous rencontrons des vagues de cisaillement, créées par la rencontre des différents courants.

De la pointe PENBERT nous pouvons apercevoir la balise du grand MOUTON où la mer s’agite fortement. Ce sera notre direction, le but étant de jouer dans les vagues, surfer, faire des bac, des stops et des reprises de courant. Je ne me sens évidemment pas complètement sécurisé car je n’ai aucune assurance dans mes appuis et toujours cette fâcheuse tendance à planter la pagaie. A chaque engagement dans une technique, je prie pour ne pas benner. Cela passe mais je suis tendu et Sandie s’en aperçoit. Elle vient vers moi et me demande si cela va. Elle me propose de continuer un peu et me dit que, si je fatigue, je peux aller sur une anse au calme qu’elle m’indique de la pagaie. Je ne resterai pas longtemps dans le flot. La proposition est trop séduisante et je me pense pouvoir profiter de ce moment pour remettre en place mon cale pied.

 

Hej dihej la jument

 

Je me dirige donc vers l’anse entre les pointes de MONTENO et de BILGROIX. Il n’y pas vraiment de coin idéal pour débarquer mais la mer y est calme et je tente un accès par les rochers en évitant les lignes des nombreux pêcheurs. J’arrive à me poser sur les cailloux et je prends le temps de souffler un peu. Le soleil brille et inonde les roches de sa chaleur et leur donne une couleur rosée extrêmement lumineuse. Cette ambiance chaleureuse me détend et je jette un regard vers mes compagnons qui jouent au loin avec les vagues. C’est sûr, ce n’est pas leur première sortie dans les courants. Ils font comme un ballet de kayak. Ils s’animent frénétiquement pour prendre la vague et la remonter jusqu’à trouver un équilibre qui permet de surfer. Un petit travail de guidage latéral du bateau permet de le maintenir dans la vague puis ils la quittent en inclinant le kayak vers le côté de sortie choisi et en forçant la direction avec la pagaie. Le bateau glisse alors sur le côté presque langoureusement, un appui est parfois nécessaire qui s’ajoute à la beauté de l’action. C’est un réel plaisir de les regarder. Et mon cale-pied ? Ah oui, voyons voir.

Je me penche à l’intérieur du bateau. La position n’est pas très confortable et je ne vois pas grand-chose. C’est normal, j’ai toujours sur le nez mes lunettes de soleil. De plus celles–ci ont pris les embruns et une légère couche de sel les opacifie. Je les retire et ma vision s’éclaircit un peu. Je dois toutefois plisser les yeux pour y voir un peu net. Je tente à plusieurs reprises d’enclencher en force le cale-pied sur son rail sans succès. Je me rends vite à l’évidence que, si j’insiste, je risque d’aggraver le problème. Tant pis, je verrai cela ce soit au bivouac. Alors que je me relève j’entends crier « Thierry, Thierry ». Bizarre cet appel ne vient pas de la mer mais de la falaise près de moi. Je cherche à deviner qui m’appelle et je vois deux silhouettes qui me font des signes. « C’est qui ? » lançais-je. « C’est Thierry » me répond une voix. Je réalise que je n’ai pas mes lunettes et je m’empresse de les rechausser. Du coup je reconnais Thierry et son épouse Muriel, rencontrés lors du stage chez Vincent. « Mais que fais-tu là ? » me lance Thierry. Je leur avoue que je ne sais pas trop.

 

Hej dihej la jument 2

 

Il me raconte être venu se promener et voir le fameux courant du golfe du MORBIHAN à son entrée. Il admirait les kayakistes à l’œuvre sur la balise des moutons en se disant que c’était un peu des fous quand même. Puis Thierry (l'autre) voit un kayak violet, il se retourne vers Muriel pour lui dire « Tiens on dirait le même kayak que celui de Thierry (moi). Je leur avais montré des photos de mon bateau lors d’un moment de repos sur le stage. Thierry prend alors ses jumelles et vise le fameux kayak. « Mais c’est lui !!! ». Me voyant venir au bord, ils ont saisi l’occasion pour me saluer et, bien sûr,  m’interroger sur ma présence en ce lieu très particulier pour un débutant kayakiste. Nous passons un petit moment à rigoler quand je leur raconte mes aventures de la matinée. Le groupe de kayak vient de quitter la zone de jeux et se dirige vers nous. Je dois quitter Thierry et Muriel pour les rejoindre et c’est après beaucoup d’expressions de sympathie que nous nous quittons.

Je rejoins mes compagnons et Jérôme nous explique que nous allons sortir du Golfe pour rejoindre la plage de PORT NAVALO un peu au sud de la pointe et y déjeuner. Forcément sortir du golfe et affronter le courant à son endroit le plus fort ne m’enchante guère. Je m’aperçois alors que le flot a fortement baissé et que la difficulté semble moindre. Je réalise alors pourquoi Jérôme insistait tant sur l’heure de départ. C’était pour pouvoir passer ici avec la marée descendante au moment où le courant est le plus faible. Nous mangerons le temps de l’étale et nous pourrons rentrer avec le courant rentrant avant qu’il ne prenne trop de force.

Nous nous engageons dans la passe qui, ma foi, ne pose pas de gros problèmes. Le franchissement de la pointe est un peu plus engagé car il y a des vagues de cisaillement et des tourbillons d’eau important. Nous arrivons tranquillement à la plage et rangeons sagement les kayaks sans avoir à trop les monter sur l’estran car la mer descend encore un peu.

 

Hej dihej plage 2

 

Chacun prend alors ses aises, vestimentaires dans un premier temps, pour mettre à sécher ce qui est mouillé et prendre un peu de liberté de mouvements. Dans un second temps, nous recherchons un siège confortable avec, si possible, un endroit propre pour poser la nourriture. Il me faudra un certain temps pour me détendre. La sensation d’être le boulet ne me quitte pas. Aucun des participants ne m’a pourtant fait de remarques. Jérôme s’est aussi tranquillisé mais je n’ose pas aller vers lui pour échanger et m’excuser. Non pas qu’il me fasse peur mais le sentiment d’être celui qui met la journée en vrac me rend très mal à l’aise. Je ne lui en veux pas pour ses cris. J’ai encadré moi aussi des groupes en escalade. La responsabilité est grande et pesante parfois. Je me suis rendu compte de mon erreur de lecture lors de l’inscription et mon inexpérience est la cause de cette matinée turbulente. Mais je me rappelle aussi qu’en escalade, les plus grands moments d’émotion ont eu lieu après les galères.

Nous déjeunons tous ensemble et quelques paquets de friandises font le tour du groupe. Le soleil réchauffe les corps et chacun tente une sieste ou un moment de détente avant de repartir. La tension retombe un peu pour moi après quelques minutes de méditation.

Jérôme rappelle le groupe pour un départ vers la bouée de KERPENHIR. Nous traverserons l’entrée du golfe pour nous retrouver à l’est de la bouée dans son contre courant. La marée débute sa remontée et il nous faudra maintenir la trajectoire en en tenant compte. Le départ est donné et la bonne humeur présente. Je commence à minimiser les faits du matin et je retrouve la parole. Quelques échanges avec mes compagnons sur le parcours finissent par me rassurer.

 

Hej dihej kerpenhir

 

Nous arrivons tous à l’abri de la bouée où le courant commence à se faire sentir. Jérôme nous donne des directives pour un remorquage. C’est une manœuvre utilisée pour tracter un coéquipier en détresse physique ou pour le sortir d’une mauvaise situation. Nous devrons prendre un compagnon en remorque pour rejoindre la plage un peu au nord-ouest de la pointe de KERPENHIR puis nous reviendrons en faisant un bac pour rejoindre la balise.

Au moment de constituer les équipes, une nouvelle inquiétude me prend. Qui voudra bien venir avec moi ? Vais-je devoir attendre la composition de la dernière équipe et être l’équipier par défaut ? Je pourrai prendre les devants et faire le forcing auprès d’un des participants mais je ne veux pas m’imposer. Je cherche à croiser les regards et certains me fuient, c’est certain. Je les comprends, bien sûr, car, sur une séance d’initiation, il est difficile d’être avec le boulet. Un regard pourtant m’accroche et m’invite à le rejoindre. Ce regard a changé mon après-midi et c’est plein de reconnaissante que je me dirige vers celui que je ne peux nommer. Quelle déception de ne plus me rappeler les prénoms. Nous allons effectuer les manœuvres à tour de rôle et tout se passe bien, pas parfaitement mais sans encombre.

 

Hej dihej remorquage

 

Nous nous retrouvons tous à l’ouest de la bouée. Le courant s’est levé et Jérôme nous invite à faire des reprises de courant et des stops. Je sens que les choses s’améliorent. C’est encore loin d’être bien mais j’ai saisi la manœuvre, il ne me faudra maintenant que de la pratique, beaaucoup de pratique.

Nous redescendons sur l’île LONGUE, au sud de l’île, je dirai, là où il y a une toute petite plage. Un courant se forme à cet endroit dans lequel vont jouer mes camarades.

Hej dihej jeux vagues 2

 

Je me suis mis à l’abri de la roche, le long de la plage et y reste planté. Chacun m’invite à reprendre le courant mais je n’en ai plus envie. La fatigue est là. C’est bon pour aujourd’hui, j’ai fait le plein d’émotion. Ce n’est pas grave car c’est le dernier jeu et bientôt le groupe reprend le chemin de BERDER.

 

Hej dihej jeux vagues 1

 

Avant d’arriver à la plage, Jérôme lance un défi aux « esquimauteurs », un petit roll avant quitter l’eau. L’esquimautage est une technique qui permet après avoir chaviré de redresser le kayak, à l’aide d’un mouvement du corps et d’un geste de la pagaie, sans sortir du bateau. Savoir le faire est un gage de sécurité lors de navigations engagées, mers agitées ou froides. Jérôme donne l’exemple. Sandie se lance ensuite et en réussi un à la perfection. Il me semble qu’un ou deux autres participants ont « esquimauté ». Pour ma part j’ai déjà testé l’esquimautage mais je n’ai pas réussi à en conclure un. Ce ne sera pas aujourd’hui que je tenterais à nouveau et je me dirige donc tranquillement vers la plage en compagnie des camarades que n’intéresse pas la proposition.

Nous faisons un point pour le lendemain avant de repartir chacun de son côté. Jérôme ne sera pas avec nous car il encadre un groupe d’espagnols en bivouac actuellement au camping du HALLATE. Ce sera donc Sandie qui prendra la session en main. Nous serons Jean Pierre et moi  accompagnés de Christophe au camping ce soir, les autres participants ne logeant pas très loin du golfe. Chacun se dit au revoir et j’ai tout juste le temps de m’excuser timidement auprès de Jérôme. Avant de partir, un participant propose de prendre un pot au café à la brèche de BERDER. Nous y serons à quatre, je crois, pour échanger le temps d’une bonne bière.

Nous rentrons donc au camping avec Jean Pierre et Christophe.  Nous prenons le temps d’une douche revigorante et alors que nous discutions après avoir remis en place mon cale-pied d'un coup de tournevis, nous voyons arriver Jérôme qui vient rendre visite aux espagnols. Notre échange est chaleureux et je peux enfin, véritablemen,t m’excuser pour les dégâts causés sur le bateau et savoir ce que je pouvais faire pour dédommager. Jérôme me dit que ce n’est pas grave. Il nous dit qu’il a, toutefois, déjà renforcé la coque par précaution et qu’il lui reste le « gelcoat » à appliquer et poncer.

Nous lui disons alors au revoir avant de nous lancer dans un apéritif dînatoire très chaleureux. Christophe nous emmènera très loin dans ses voyages au pays des grands froids et Jean Pierre nous fera profiter de ses bricolages et astuces techniques. Ce fut une chouette soirée terminée assez tard mais pas trop.

Il ne reste que peu de souvenir de notre réveil et du début de matinée due sans doute à  un réveil laborieux. Nous avons rejoint la compagnie, comme la veille, sur le port de LARMOR BADEN. Sandie nous propose de commencer par une balade dans le golfe en direction de la rivière d'AURAY puis de revenir. Le groupe démarre gentiment, nous passons RADENEC puis à droite d'ER RUNIO avant d'arriver aux septs îles. Le rythme s'accélère un peu et je commence à sentir que le groupe s'éloigne peu à peu. Mon kayak est une baleine par rapport aux autres bateaux, Je me dis que je me cherche des excuses, Je suis venu aujourd'hui car j'ai envie d'y retourner.Nous prenons alors plein sud pour passer derrière ER RUNIO pour revenir vers l'île longue et ER LANNIC ou nous apercevons l'enceinte mégalithique. J'ai réussi jusqu'à maintenant à maintenir la distance mais je suis seul à l'arrière, je vois doucement mes compagnons s'éloigner. Nous longeons maintenant l'île longue vers BERDER et le groupe s 'éloigne encore. "Je crois que j'ai compris" ! "Compris quoi ?" "Tu crois que le groupe cherche à te passer un message par cet éloignement ?" "Tu fabules mon pauvre père". "Tu te cherches des excuses". Je sens que mon esprit par en vrille et cela ne sent pas bon. Continuer comme cela ne me donnera pas de plaisir, j'ai peur d'être un poids pour le groupe. Je pense à Sandie qui est seule pour encadrer. Je risque de lui causer des soucis. "Allez encore à la recherche d'excuse !" Je crois que la fatigue est là qui me mène vers la mélancolie. "Arrête de pleurnicher CALIMERO". Ma décision est prise, je vais quitter le groupe avec comme raison la fatigue et je crois que c'est la vraie et bonne raison car elle m'empêche d'avoir une vision juste de ma situation psychologique. Je rejoins le groupe près de la brèche de BERDER et j'annonce les quitter là, pour rejoindre la plage. Je sens que le groupe est en adéquation avec ma décision qui doit leur sembler juste. Nous prononçons les au-revoir sur l'eau et je les quitte rapidement. J'entends alors appeler « Thierry ! Thierry ! C'est Jean Pierre qui me rappelle : «  Le casque ! », Zut j'allais oublié de lui rendre le fameux casque jaune que j'ai encore sur la tête. Il me demande alors de le déposer sous la roue avant de son camion ce que je ferais dès arrivé aux véhicule.

Il ne m'a pas fallu longtemps pour ranger le matériel. Je décidais avant de partir de retourner les voir à la brèche et de tenter de prendre quelques photos. De larges sourires éclairent leur visages lorsqu'ils me voient revenir.

 

Hej dihej groupe 1

Peut être avait-il peur que je sois parti fâché ou déçu et de me voir les rassure sur mon état psycho. Sandie lance : « Vas-y Jean Pierre ! » Il s'élance vers la brèche et le groupe de badeaux présents reprend en cœur : « Vas y jean Pierre, allez !!! », C'est sur ce moment de rigolade après avoir pris quelques photos que je les quitte vraiment. J'en repars heureux et satisfait, Certes, je n'ai pas tout fait, j'ai été le boulet mais que de choses apprises en ce WE.

Peut-être à bientôt les amis !

Pour finir, une petite vidéo de Sandie, Christophe et d'autres dans la Brèche ..

 

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